Appelés à construire la famille humaine (Journée Mondiale des vocations 2022)
Chers frères et sœurs,
Alors que les vents glacés de la guerre et de l’oppression soufflent encore en ces temps et que nous assistons souvent à des phénomènes de polarisation, nous avons en Église initié un processus synodal : nous ressentons l’urgence de marcher ensemble, en cultivant l’écoute, la participation et le partage. Avec tous les hommes et femmes de bonne volonté, nous voulons contribuer à édifier la famille humaine, à panser ses blessures et à la projeter vers un avenir meilleur. Dans cette perspective, pour la 59ème Journée mondiale de prière pour les vocations, je voudrais réfléchir avec vous sur le sens large de la « vocation », dans le contexte d’une Église synodale qui se met à l’écoute de Dieu et du monde.
Je voudrais réfléchir avec vous sur le sens large de la « vocation », dans le contexte d’une Église synodale qui se met à l’écoute de Dieu et du monde.
Toute l’Église est une communauté évangélisatrice
Appelés à être tous protagonistes de la mission
La synodalité, le fait de marcher ensemble est une vocation fondamentale pour l’Église, et c’est seulement dans cet horizon qu’il est possible de découvrir et de valoriser les différentes vocations, charismes et ministères. En même temps, nous savons que l’Église existe pour évangéliser, en sortant d’elle-même et en semant les graines de l’Évangile dans l’histoire. Une telle mission est donc possible précisément en mettant en synergie tous les domaines de la vie pastorale et, avant cela, en impliquant tous les disciples du Seigneur. En effet, « en vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation » (Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, n. 120). Nous devons nous méfier de la mentalité qui sépare prêtres et laïcs, considérant les premiers comme des protagonistes et les seconds comme des exécutants, et mener à bien la mission chrétienne en tant qu’unique Peuple de Dieu, laïcs et pasteurs ensemble. Toute l’Église est une communauté évangélisatrice
Appelés à être les gardiens les uns des autres et de la création
Le mot « vocation » ne doit pas être compris dans un sens restrictif, se référant uniquement à ceux qui suivent le Seigneur sur le chemin d’une consécration particulière. Nous sommes tous appelés à participer à la mission du Christ, qui consiste à réunir l’humanité dispersée et à la réconcilier avec Dieu. Plus généralement, toute personne humaine, avant même de faire l’expérience de la rencontre avec le Christ et d’embrasser la foi chrétienne, reçoit par le don de la vie un appel fondamental : chacun de nous est une créature voulue et aimée par Dieu, pour laquelle il a eu une pensée unique et spéciale, et cette étincelle divine, qui habite le cœur de chaque homme et de chaque femme, nous sommes appelés à la développer au cours de notre vie, en contribuant à la croissance d’une humanité animée par l’amour et l’acceptation mutuelle. Nous sommes appelés à être les gardiens les uns des autres, à construire des liens de concorde et de partage, à guérir les blessures de la création afin que sa beauté ne soit pas détruite. En bref, devenir une seule famille dans la merveilleuse maison commune de la création, dans l’harmonieuse variété de ses éléments. Dans ce sens large, non seulement les individus, mais aussi les peuples, les communautés et les agrégations de toutes sortes ont une « vocation ».
Nous sommes tous appelés à participer à la mission du Christ, qui consiste à réunir l’humanité dispersée et à la réconcilier avec Dieu.
Voilà la dynamique de toute vocation : nous sommes rejoints par le regard de Dieu, qui nous appelle (…) la vocation est pour tous, parce que tous sont regardés et appelés par Dieu.
Mettons-nous donc à l’écoute de la Parole, pour nous ouvrir à la vocation que Dieu nous confie ! Et apprenons aussi à écouter nos frères et sœurs dans la foi, car dans leurs conseils et dans leur exemple peut se cacher l’initiative de Dieu, qui nous indique des chemins toujours nouveaux à suivre.
Appelés à accueillir le regard de Dieu
C’est dans cette grande vocation commune que s’insère l’appel plus particulier que Dieu nous adresse, en rejoignant notre existence avec son Amour et en la dirigeant vers son but ultime, vers une plénitude qui dépasse même le seuil de la mort. C’est ainsi que Dieu a voulu regarder et regarde notre vie.
On attribue ces mots à Michel-Ange Buonarroti : « Chaque bloc de pierre renferme une statue et c’est au sculpteur de la découvrir ». Si tel est le regard de l’artiste, c’est bien encore plus de cette manière que Dieu nous regarde : dans cette fille de Nazareth, il a vu la Mère de Dieu ; dans le pêcheur Simon, fils de Jonas, il a vu Pierre, la pierre sur laquelle il a construit son Église ; dans le publicain Lévi, il a vu l’apôtre et évangéliste Matthieu ; dans Saul, le dur persécuteur des chrétiens, il a vu Paul, l’apôtre des Gentils. Son regard d’amour nous atteint toujours, nous touche, nous libère et nous transforme, faisant de nous des personnes nouvelles.
Voilà la dynamique de toute vocation : nous sommes rejoints par le regard de Dieu, qui nous appelle. La vocation, comme la sainteté, n’est pas une expérience extraordinaire réservée à quelques-uns. De même qu’il y a « les saints de la porte d’à-côté » (cf. Exhortation apostolique Gaudete et Exsultate, nn. 6-9), de même la vocation est pour tous, parce que tous sont regardés et appelés par Dieu.
Un proverbe de l’Extrême-Orient dit : « l’homme sage regarde l’œuf et voit l’aigle ; il regarde la graine et voit un grand arbre ; il regarde un pécheur et voit un saint ». C’est ainsi que Dieu nous regarde : en chacun de nous, il voit des potentialités, parfois inconnues de nous-mêmes, et tout au long de notre vie, il travaille sans relâche pour que nous puissions les mettre au service du bien commun.
C’est ainsi que naît la vocation, grâce à l’art du divin Sculpteur qui, avec ses « mains », nous fait sortir de nous-mêmes, pour que se révèle en nous le chef-d’œuvre que nous sommes appelés à être. En particulier, la Parole de Dieu, qui nous libère de l’égocentrisme, est capable de nous purifier, de nous éclairer et de nous recréer. Mettons-nous donc à l’écoute de la Parole, pour nous ouvrir à la vocation que Dieu nous confie ! Et apprenons aussi à écouter nos frères et sœurs dans la foi, car dans leurs conseils et dans leur exemple peut se cacher l’initiative de Dieu, qui nous indique des chemins toujours nouveaux à suivre.
Appelés à répondre au regard de Dieu
Le regard aimant et créatif de Dieu nous a rejoints de manière singulière en Jésus. En parlant du jeune homme riche, l’évangéliste Marc note : « Jésus le regarda et l’aima » (10, 21). Ce regard d’amour de Jésus se pose sur chacun d’entre nous. Frères et sœurs, laissons-nous toucher par ce regard et laissons-nous porter par lui au-delà de nous-mêmes ! Et apprenons aussi à nous regarder les uns les autres pour que les personnes avec lesquelles nous vivons et que nous rencontrons – quelles qu’elles soient – puissent se sentir accueillies et découvrir qu’il existe Quelqu’un qui les regarde avec amour et les invite à développer tout leur potentiel.
Notre vie change lorsque nous accueillons ce regard. Tout devient un dialogue vocationnel, entre nous et le Seigneur, mais aussi entre nous et les autres. Un dialogue qui, lorsqu’il est vécu en profondeur, nous fait devenir toujours plus ce que nous sommes : dans la vocation au sacerdoce ordonné, pour être des instruments de la grâce et de la miséricorde du Christ ; dans la vocation à la vie consacrée, pour être louange de Dieu et prophètes d’une humanité nouvelle ; dans la vocation au mariage, pour être don réciproque, générateurs et éducateurs de vie. En général, dans chaque vocation et ministère de l’Église, qui nous appelle à regarder les autres et le monde avec les yeux de Dieu, à servir le bien et à répandre l’amour, en actes et en paroles.
À ce propos, je voudrais ici mentionner l’expérience du Dr José Gregorio Hernández Cisneros. Alors qu’il travaillait comme médecin à Caracas, au Venezuela, il a voulu devenir tertiaire franciscain. Plus tard, il a pensé à devenir moine et prêtre, mais sa santé ne le lui a pas permis. Il s’est rendu compte que sa vocation était la profession médicale, dans laquelle il se dépensait surtout pour les pauvres. Il s’est consacré sans réserve aux malades, touchés par l’épidémie de grippe espagnole qui balayait le monde à l’époque. Il a été renversé par une voiture alors qu’il sortait d’une pharmacie où il avait acheté des médicaments pour un patient âgé. Témoin exemplaire de ce que signifie accepter l’appel du Seigneur et y adhérer pleinement, il a été béatifié il y a un an.
Pourtant il n’y a pas de joie plus grande que de risquer sa vie pour le Seigneur ! En particulier à vous, les jeunes, je voudrais dire : ne soyez pas sourds à l’appel du Seigneur ! S’il vous appelle pour ce chemin, ne tirez pas votre épingle du jeu et faites-lui confiance. Ne vous laissez pas contaminer par la peur, qui nous paralyse devant les hauts sommets que le Seigneur nous propose. Rappelez-vous toujours que, à ceux qui laissent les filets et la barque pour le suivre, le Seigneur promet la joie d’une vie nouvelle, qui comble le cœur et anime le chemin.
Notre vie change lorsque nous accueillons ce regard. Tout devient un dialogue vocationnel, entre nous et le Seigneur, mais aussi entre nous et les autres. Un dialogue qui, lorsqu’il est vécu en profondeur, nous fait devenir toujours plus ce que nous sommes
En tant que chrétiens, nous ne sommes pas seulement appelés, c’est-à-dire tous personnellement interpellés par une vocation, mais nous sommes aussi convoqués.
Lorsque nous parlons de « vocation », (…) il s’agit de réaliser le rêve de Dieu, le grand projet de fraternité que Jésus avait dans son cœur lorsqu’il priait le Père : « Que tous soient un » (Jn 17, 21).
Appelés à construire un monde fraternel
En tant que chrétiens, nous ne sommes pas seulement appelés, c’est-à-dire tous personnellement interpellés par une vocation, mais nous sommes aussi convoqués. Nous sommes comme les tesselles d’une mosaïque, déjà chacune si belles, mais ce n’est qu’ensemble que nous formons une image. Nous brillons, chacun et chacune, comme une étoile dans le cœur de Dieu et au firmament de l’univers, mais nous sommes appelés à former des constellations qui orientent et illuminent le chemin de l’humanité, à partir du contexte dans lequel nous vivons. C’est le mystère de l’Église : dans la convivialité des différences, elle est signe et instrument de ce à quoi l’humanité entière est appelée. C’est pourquoi l’Église doit devenir de plus en plus synodale : capable de marcher ensemble dans l’harmonie de la diversité, dans laquelle chacun a une contribution à apporter et peut participer activement.
Lorsque nous parlons de « vocation », il ne s’agit donc pas seulement de choisir telle ou telle forme de vie, de vouer son existence à un ministère particulier ou de suivre le charisme d’une famille ou d’un mouvement religieux ou d’une communauté ecclésiale ; il s’agit de réaliser le rêve de Dieu, le grand projet de fraternité que Jésus avait dans son cœur lorsqu’il priait le Père : « Que tous soient un » (Jn 17, 21). Toute vocation dans l’Église, et plus largement dans la société, contribue à un objectif commun : faire résonner parmi les hommes et les femmes cette harmonie des dons nombreux et divers que seul l’Esprit Saint peut susciter. Prêtres, consacrés et fidèles laïcs, marchons et travaillons ensemble, pour témoigner qu’une grande famille humaine unie dans l’amour n’est pas une utopie, mais le projet pour lequel Dieu nous a créés.
Prions, frères et sœurs, pour que le peuple de Dieu, au milieu des événements dramatiques de l’histoire, réponde de plus en plus à cet appel. Invoquons la lumière de l’Esprit Saint, afin que chacun d’entre nous puisse trouver sa place et donner le meilleur de lui-même dans ce grand dessein !
Pape François.
Rome, St Jean de Latran, 8 mai 2022, Quatrième dimanche de Pâques.